• « Les Intimités électives de Patrice Chéreau » : un cinéma engagé de l’analyse des mœurs contemporaines, par Brigitte Gauthier

    « Les Intimités électives de Patrice Chéreau » : un cinéma engagé de l’analyse  des mœurs contemporaines
    par Brigitte Gauthier

    À partir de son film Intimacy, réalisé en 2001, on retracera le parcours politiquement courageux du discours sans tabou sur les relations humaines étudié par Patrice Chéreau dans son œuvre cinématographique.
    Le cinéma de Patrice Chéreau s’inspire d’un théâtre d’idées où la chair parle et les mots traversent l’espace. Le socle du théâtre l’a formé aux jeux de l’amour et des prétendus hasards. Ses mises en scène des Paravents de Genêt (1983), Dans la Solitude des champs de coton (1987) de Bernard-Marie Koltès ou de Rêve d’Automne (2010) de Jon Fosse servent de laboratoire de résonance à ses expérimentations cinématographiques. Il met en scène l’affrontement des sentiments dans un mouvement oscillatoire entre la scène et l’écran.
    Chéreau jette un regard sans compromis sur l’entrelacement du désir et des émotions dans les contextes historiques ou contemporains les plus variés. Il resserre sa focalisation sur l’entassement des chairs horizontalisées dans l’écran, jouant sur l’emboîtement des possibles dénudés lorsque la parole n’est que double jeu, sous-texte ou trahison.
    Sa langue et sa gestuelle sont chorégraphiées comme au théâtre, mais son cinéma fait des choix clairs, enfreignant les règles élémentaires de la grammaire cinématographique pour souligner les décalages entre nos attentes et la réalité des sables mouvants émotionnels. Ses personnages sont déchirés, à vif, malmenés par une société qui ne permet plus l’hypocrisie et la réassurance bourgeoise.
    Lorsque le rideau des apparences ne descend plus, on retrouve l’individu face à lui-même. L’homosexualité sert de miroir révélateur aux pratiques hétérosexuelles, la dérive des sentiments est amorcée. Même les vitres entre l’intérieur et l’extérieur sont fissurées. Chéreau nous propose un parcours à travers l’œuvre cinématographique d’un maître du théâtre, habile marionnettiste de la direction d’acteurs, observateur sans relâche du « je veux, moi non plus ». Choisir d’être un cinéaste anthropologue du chant amoureux dans un temps hanté par Les Nuits Fauves de Cyril Collard (1992) et le scandale des expositions de Mapplethorpe de 1989 est bel et bien courageux. Chéreau rend familier la problématique de l’homme blessé. Le désir, le manque, le deal du bonheur au coin d’un trottoir en guise de rêve rappelle les plus grands Fassbinder et annonce les réformismes contemporains d’une sexualité assumée. La Vie d’Adèle d’Abdelattif Kechiche, Palme d’Or 2013, s’inscrit dans le sillage cannois d’une Reine Margot (1994), plaidoyer d’une liberté amoureuse. L’amour est un combat, la vie une solitude. Le théâtre est le laboratoire expérimental, le mode opérationnel, outil de vision sur ce que l’autre se cache et sur ce que chaque jour nous prétendons montrer. Son cinéma est une épure, un mode brut à la Jackson Pollock, éclaboussement des êtres, fracas des destinés.

    The Elective intimacies of Patrice Chéreau:
    a committed cinema providing an analysis of contemporary morality

     Starting from Chéreau’s film Intimacy (2001), we’ll move back to the early period of the filmmaker’s career to survey his politically courageous journey. He chose to offer us a discourse free of taboos on human relationships.

    Patrice Chéreau’s cinema is inspired by a Theater of Ideas where flesh speaks and words move through space. His theatrical background trained him in the games of love and apparent hazards. His staging of Genet’s Les Paravents (Screens, 1983), Dans la Solitude des Champs de coton (In the Solitude of Cotton Fields, 1987) by Bernard-Marie Koltes (1987) or of Rêve d’Automne (Autumn Dream, 2010) by Jon Fosse serve as a sounding board for his cinematographic experimentations. He stages a clash of feelings in an oscillation between the stage and the screen.
    Chéreau takes an uncompromising look at the intertwining of desires and emotions in the most varied historical and contemporary contexts. He scrutinizes the horizontal layering of flesh upon the screen, playing on the interlocking of nude imagery when speech is no more than foul play, subtext or treason.
    His language and code of non-verbal behavior are choreographed as he would for the Theater, but he makes his cinematographic choices clear, violating the basic rules of film grammar to highlight the differences between our expectations and the reality of emotional quicksands. His characters are torn apart, raw, roughed up by their social environment that no longer allows them the safety of hypocrisy or bourgeois reinsurance.
    When the fourth wall of appearances falls the individual has to accept to see himself as he is. Homosexuality serves as a mirror revealing heterosexual practices, feelings start drifting away. Even the glass partitions they set up between the inside and the outside of their world are cracked. Chéreau offers us a journey through the cinematographic work of a master of theater, a skillful puppeteer directing actors, a tireless observer of the "I want, me neither" attitude. To choose to be a filmmaker and an anthropologist singing love in a time haunted by Les Nuits Fauves by Cyril Collard (1992) and the 1989 scandal of the Mapplethorpe exhibitions is indeed quite brave. Chéreau makes the problem of the injured man familiar. Desire, absence, the deal of happiness in place of a dream reminds us of the most fabulous Fassbinder movies… and announces the contemporary reforms of an assumed sexuality. La vie d’Adèle (The Life of Adele, Palme d'Or 2013) by Abdelattif Kechiche, is in the wake of La Reine Margot (The Queen Margot, 1994) screened at Cannes, it is a plea for free love. Love is a battle, life implies loneliness. Theater is the experimental laboratory, the operational mode, a tool to perceive what the other hides from himself and what we pretend to show each day. His cinema is a rough draft, a raw mode à la Jackson Pollock, splashing out fragments of beings and the crash of destinies…

     

     


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